25.1.07

Derme de givre

«Entre juin 2005 et août 2006, dix profilés de verre du parement extérieur de la Grande Bibliothèque ont éclaté. Des experts ont suggéré de retremper les lamelles prises en défaut; d'autres ont plutôt indiqué qu'il fallait les réinstaller selon des normes plus serrées. Mais ces solutions, aussi complexes que coûteuses, n'ont pas été retenues par BAnQ [Bibliothèque et Archives nationales du Québec] ni par la firme Pomerleau parce que les différents rapports n'ont pas su établir de solution claire et certaine ni même déterminer une responsabilité unique et certaine.

[...]

Leur solution? Réaménager le périmètre de la Grande Bibliothèque en lui ajoutant une zone de sécurité qui comprendra des marquises, des bannières et des arbustes denses destinés à éliminer tout risque de blessure.»
(Le Devoir, 25.01.2009, p. A-8).

Il y a de ces textes, comme ça, qu'il faut relire au moins deux ou trois fois afin d'être sûr qu'on a bien compris — et c'est pas parce qu'ils sont de Lacan ou de Derrida.

Leur solution? Oui, c'est exactement ça: vu qu'on sait pas trop qui est responsable (mais quelle idée saugrenue de s'intéresser à ça!), ben... on va tout simplement laisser les lamelles tomber au petit bonheur la chance — et, si ça se trouve, avant que ça prenne goût de tinette, le noble édifice «au derme de givre» (aaargh...) finira par ressembler à une courtepointe inachevée ou à la bouche édentée d'une citrouille d'Halloween. Mais, pour éviter que trop de lecteurs ne soient occis par accident (ou juste un peu endommagés par inadvertance — les assurances, vous comprenez...), on va les éloigner des murs en plantant des rhododendrons géants et des genévrier nains, en installant des marquises — et pourquoi pas, tant qu'à y être, des parasols Ricard avec des tables de patio bancales (je sais, c'était un pléonasme). Comme ça, tiens, on pourra regarder tomber les lamelles en prenant l'apéro. Merde, j'lai ratée, celle-là, je reluquais la paire de jambes, là... Non mais... p***, t'as vu???

Et... euh... vous savez c'qu'y en a qui réussissent à faire, dans les... bosquets denses???

Je me prenais à imaginer, au moyen âge, une gargouille qui serait tombée du clocher de Notre-Dame au pied de quelques bons bourgeois de Paris. Je vous dis pas, en vrac et pêle-mêle, l'architecte, le chef de chantier, le maçon de service et le banquier lombard : roués de coups, éviscérés à l'économe, pendus par les couilles, écorchés vifs à la varlope, puis lentement écartelés en place de Grève, bouillis à petit feu tout de suite après et transformés dare-dare en bouffe à chats — mais tout de même pas avant d'avoir sculpté cent fois dans la pierre, avec leurs ongles et en belles lettres gothiques: «J'ay grande vergogne à reconnoistre avoir mal fischu mon boulot & iure par devers nostre Seygneur & nostre Dame qu'onques ne le referay plus ou cochon si m'en desdis!»

Et solidement remis la gargouille, à sa place, cela va sans dire.

Et... gratis pro Deo — non mais.


Y a des jours où je me demande vraiment pourquoi je n'ai pas appelé ce blog : O tempora...

10 commentaires:

Valérie-Ann a dit...

Votre billet m'a vraiment fait rire... Avec leurs ongles, et en lettres gothiques, vraiment? Cela dit vous avez raison, toute cette histoire est d'un ridicule!! Parfois il est dommage de constater qu'en effet ça ne tue pas!

Anonyme a dit...

Votre imagination débridée et votre verve me ravissent. Et l'évocation des bosquets denses m'a provoqué une bouffée de nostalgie. Tout est si bien organisé de nos jours. Même la chute des vitres sera sécuritaire...

Anonyme a dit...

MJ je suis tentée de faire circuler ce texte. Y a-t-il un copyright ? Il est vrai que le blog est public, mais je n'ose pas non plus en faire circuler l'adresse. Pour diverses raisons.

Mentana Jones a dit...

Sais pas trop kwa vous dire, là, m'dame P. V'm'flattez au moins autant que v'm'intriguez. Trouverez-vous peut-être le moyen de me dire pourquoi vous hésiteriez à faire un peu croître le nombre de visites - et, partant, de commentaires potentiels - à cet humble blog???

Jack Lehrer a dit...

Ne poussez pas la caricature MJ ! Que voulez vous arriver à faire dans des bosquets à cette période de l'année? Dans le meilleur des cas, réajuster votre tuque loin de la foule. Au pire... vous relever d'une mauvaise chute, causée par une vraie couche de givre ce coup ci...

Je me rappelle avoir eu un sourire ironique en lisant cette article dans le métro l'autre jour. A la lumière de vos explications, je crois que je serai parti d'un éclat de rire matinal incontrolable incompatible avec ce genre d'exercice. Bref, vraiment TRES drole !

Mentana Jones a dit...

Bon.. certes, peut-être pas en cette période de l'année, là, JL (nous... acquiesçons), pour les bosquets - et d'autant qu'ils ne sont encore que virtuels - m'enfin, je vous assure, je me suis souvent laissé dire qu'on y faisait de ces choses qui... laissent le récit aussi pantois que coi, quoi...
Mais... ravi d'avoir pu vous faire conditionnellement rire - c,est déjà beaucoup, si ça se trouve!
Et... que diriez-vous, au fait, de rapatrier Ségo à la tête du PQ et d'un ticket Simplet / Branleur (Branleur étant, comme vous l'avez bien compris, le... 8e nain en costume Armani...)

Maybe Me a dit...

J'abonde dans le sens de Agingviolet. Vraiment, j'ai toujours trouvé qu'il n'y avait pas assez de bosquets denses à Montréal. Même à l'Île Sainte-Hélène, ils ont fait exprès pour les... dédensifier!

Ça tue la spontanéité, ça, j'vous dis.

Mais bien sûr, l'idée de se faire assomer par une languette de matériau techno tombé du ciel pendant qu'on est dans les bosquets n'est pas non plus... exagérément tentante.

Mentana Jones a dit...

Et dire qu'au début, ça devait être des lames de cuivre qui auraient fini par verdir comme un toit de cathédrale... Mais ça aurait coûté trop cher, bien entendu. Déjà qu'il faut choisir entre les livres et les étagères...
Mais c'est bien vrai, pour les bosquets:
O tempora...

Anonyme a dit...

Oui, Mentana, je vais peut-être trouver le moyen de vous dire pourquoi j'hésiterais à faire croître le nombre de visites à ce très peu humble blog.
Au moins une raison : il serait regrettable qu'un si noble représentant de l'humanité se tue à la tâche. Bloguer, c'est compromettant… Je constate (une Pythie, ça voit parfois le présent) que vous n'avez pas réagi à certains commentaires, pas même accusé lecture : comment ferez-vous quand vous aurez battu Patrick Lagacé ? (À propos, cette comparaison, je l'avais pythifiée.)

J'ai d'autres raisons, pas toutes pythoyantes.

Mais je ne sais toujours pas si je peux faire circuler votre texte en toute tranquilité de conscience (je l'ai très délicate).
Je ne sais pas non plus, si la bloguétiquette tolère qu'on commente à côté, et en avant, et en arrière. Tirez-moi de ces doutes, je vous prie.
Et je vous prédis un brillant avenir.

Mentana Jones a dit...

Merci de votre sollicitude, P. J'ai consulté au sujet de votre question, souhaitant moi-même plus de lumière à son sujet. Les avis obtenus m'amènent à penser que les règles de la bloguétiquette sont relativement simples, peu nombreuses et pleines de bon sens: en principe, en effet, il s'agit de s'en tenir pour l'essentiel à commenter le billet — mais c'est tout à fait correct de réagir, le cas échéant, à d'autres commentaires du même billet. Pour le reste, les blogueurs indiquent généralement une adresse de courriel où on peut les joindre...
Cela étant, il me semble, P., qu'il y a peu de commentaires dont je n'ai pas accusé réception et auxquels je n'ai pas réagi de quelque manière — sinon lorsqu'il a pu ariver que je ne sois pas tout à fait sûr d'en avoir compris la teneur...